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Vous savez probablement qu'un consortium de scientifiques est parvenu à dévoiler au monde la première image d'un trou noir . Mais vous ne savez peut-être pas que cet effort a en grande partie été rendu possible grâce au langage de programmation python - que nous utilisons pour faire ce site et nos modèles. En hommage à cette formidable découverte donc, manipulons l'espace-temps et analysons des univers parallèles: ceux où certains partis n'ont aucun siège le 26 mai prochain.
Nous nous concentrerons sur les trois partis qui ont une chance substantielle d'obtenir 0 siège - EELV (2%), PS (27%), DLF (58%). Par exemple, que se passe-t-il dans les univers où le PS se retrouve avec 0 siège? Qui en profite? Cela fait-il même une différence, étant donné le peu de voix prévues pour le PS (environ 6% selon notre modèle )?
Comment obtient-on ces différents univers? Pour faire court, notre modèle simule des centaines de milliers d'élections - comme si l'élection avait lieu en même temps dans des centaines de milliers d'univers parallèles.
Sans le PS, une gauche moins forte
Commençons par le Parti Socialiste, car on aime bien les proverbes latins, et qui mieux que lui illustre la proximité de la roche Tarpéienne et du Capitole ? Au pouvoir de 2012 à 2017, le PS a aujourd'hui plus d'une chance sur quatre d'obtenir 0 siège au Parlement Européen, selon notre modèle et les données disponibles. Quelles sont les possibilités donc, si ce cas de figure se produit? Autrement dit, qui profite d'un PS absent?
Le graphe ci-dessous vous permet de vous faire une idée rapidement. Vous le connaissez si vous consultez nos prévisions régulièrement, mais nous avons rajouté des petits bonus. Les lignes pointillées représentent l'intervalle de sièges que le parti a 5 chances sur 6 d'obtenir quand on considère tous les univers. C'est tout simplement le graphe que vous voyez sur notre page des prévisions: on regarde tout le champ des possibles.
Les lignes pleines en revanche restreignent notre champ de vision aux univers où le PS obtient 0 siège. Vous pouvez ainsi voir rapidement l'effet de son absence sur les autres partis, puisque les deux intervalles de confiance sont comparables. Enfin, vous pouvez changer le parti absent avec le petit menu de droite.
Ligne pleine: les sièges du parti dans cette hypothèse.
Ligne pointillée: les sièges du parti toutes hypothèses confondues.
Chaque barre représente l'intervalle dans lequel il y a 5 chances sur 6 (83%) que le nombre de sièges obtenu par le parti tombe.
Quand un parti obtient moins de 5% des voix, il n'a aucun siège; d'où l'effet de seuil observé pour les partis en queue de peloton (ils ont soit 0 siège, soit 4 sièges minimum).
Pourquoi 5 chances sur 6 ? Voyez-le comme la probabilité d'obtenir n'importe quel chiffre sauf le 6 quand vous lancez un dé classique. Survolez le graphe avec votre souris pour voir les détails.
Les présentations étant faites, que peut-on en tirer? Première observation, les gagnants sont les trois partis de tête (LREM, RN et LR), qui voient leur intervalle translaté d'un siège vers la droite - par exemple, de [16-22] sièges pour LREM à [17-23]. Autrement dit, leur incertitude reste la même - les intervalles font la même largeur - mais ils gagnent un siège dans l'histoire.
Cela peut sembler contre-intuitif de voir ces trois partis - notamment LR et RN - profiter de l'absence du PS. Mais c'est justement un bon exemple pour souligner qu'on ne peut pas établir de causalité ici: l'absence du PS ne cause pas l'augmentation des trois leaders - les mouvements sont simplement corrélés.
Pourquoi? Parce qu'une élection est déterminée par énormément de facteurs, qui influencent le résultat, mais aussi interagissent entre eux. Peut-être qu'un monde où le PS n'a aucun siège met en lumière un découragement des électeurs de gauche? Un monde où ils ne votent pas, laissant ainsi le centre et la droite sur-performer, sans pour autant que ces derniers n'augmentent leur socle électoral. En bref, tous les partis sont corrélés, mais ce ne sont pas des vases parfaitement communiquants - il y a de la déperdition, dûe à divers facteurs externes.
Les autres partis de gauche ne profitent d'ailleurs pas de l'absence du PS: EELV ne bouge pas et LFI voit sa borne supérieure augmenter d'un siège, mais son incertitude globale augmente - son intervalle de confiance est plus large que dans l'ensemble des univers. Autrement dit, une contre-performance du PS n'est pas nécessairement positive pour le reste de la gauche, car une telle contre-performance a des chances - de grandes chances même selon notre modèle - d'annoncer une contre-performance de l'ensemble de la gauche.
Sans DLF, un RN renforcé, LREM et LR plus sûrs de leur force
Debout la France ayant la plus grosse probabilité d'avoir 0 siège le 26 mai, le modèle trouve logiquement plus d'univers sans DLF que, par exemple, sans EELV. Vous voyez le paradoxe émerger: si ce cas de figure a plus de chances d'émerger, c'est aussi parce que DLF est plus faible à la base (env. 4,6% des voix dans notre modèle) - donc on peut inférer que son absence aura peu d'impact.
C'est ce que semble confirmer le graphe du début: seul le RN gagne quand les souverainistes sont absents (+ 1 siège environ). LREM et LR ne gagnent pas mais voient leur incertitude diminuer - de 16-22 à 17-22 pour LREM, de 10-15 à 11-15 pour LR - tandis que LFI, EELV et le PS ne bougent pas. La catégorie "Autres" est elle plus incertaine et gagne potentiellement 1 siège.
En résumé, dans ces univers, les électeurs DLF semblent se déporter principalement sur le RN et secondairement sur des partis périphériques. Dans le même temps, les électeurs LR et LREM sont moins indécis, augmentant ainsi le plancher de leur parti, mais pas son plafond.
Ces impacts restent cependant très limités, comme illustré par ce tableau:
Chances de finir premier - différence entre l'univers étudié et l'ensemble des univers (baseline)
Chances de finir 1er (%) | LREM | RN |
---|---|---|
Univers | ||
Baseline | 61.5 | 25.7 |
Sans PS | 0.1 | 0.3 |
Sans DLF | 0.2 | 0 |
Sans EELV | 0.2 | 0.2 |
L'absence de DLF n'augmente donc pas les chances du RN de finir premier - il a 1 chance sur 4 de l'être, comme dans l'ensemble des univers. Les trois univers qu'on étudie ne changent d'ailleurs pas grand chose à la baseline: les favoris et les chances respectives de finir premier restent les mêmes. La raison principale est probablement que les favoris sont trop loin devant les partis susceptibles d'obtenir 0 siège, qui par définition sont les plus faibles. Il faudrait d'énormes concours de circonstances, ou une très grosse erreur des sondages en faveur des partis les plus faibles pour que les favoris soient inquiétés.
Sans EELV, le PS n'est pas plus fort
Tout d'abord, pourquoi inclure EELV dans cet article? La situation du parti écologiste est effectivement différente de celles du PS et DLF, puisque les Verts n'ont actuellement que 2% de chances d'obtenir 0 siège. Mais il leur a souvent été reproché de ne pas faire alliance - notamment avec le PS. En regardant les univers sans EELV, on examine l'hypothèse selon laquelle les écologistes prennent des voix au PS - si c'est le cas, le PS devrait gagner dans les univers où EELV est absent. Bien sûr, cette comparaison est critiquable - pour bien faire, il faudrait des sondages avec et sans EELV - mais c'est déjà mieux que de le faire sans aucune donnée.
Toujours grâce au graphique du début, on voit que la situation ressemble à celle où le PS a 0 siège: les seuls qui en profitent vraiment sont les 3 partis de tête, tous translatés d'un siège vers la droite. La borne supérieure du RN augmente même de deux sièges, ce qui augmente son incertitude mais en fait le plus gros vainqueur potentiel d'une contre-performance des Verts.
Le reste de la gauche se retrouve dans la même situation que DLF et les partis périphériques: la borne supérieure du PS et de LFI augmente, mais l'incertitude augmente car la borne inférieure est constante. Pour prendre une métaphore, imaginez une pièce dont on connaît la hauteur du plancher et du plafond. On veut savoir à quelle hauteur le premier secrétaire du PS - Olivier Faure pour les intimes - sera le 26 mai. Ce qu'on apprend dans les univers sans EELV, c'est que le PS a des chances de finir plus haut que dans l'ensemble des univers, mais on n'en sait pas plus sur sa vraie position - au contraire, la pièce étant maintenant plus grande, il y a plus de positions finales possibles.
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Mais on peut faire plus que des métaphores douteuses avec cette analyse de différents univers - en tout cas j'espère. En résumé, selon notre modèle et les données disponibles:
- Il serait surprenant de voir les partis de gauche sur-performer le 26 mai si l'un d'entre eux sous-performe. Une telle sous-performance annoncerait probablement un électorat qui penche vers la droite et le centre, ou un électorat de gauche démobilisé. Dans tous les cas, un mauvais signe pour l'ensemble de la gauche.
- A l'inverse, une contre-performance de DLF semble profiter au RN et, dans une moindre mesure, aux partis périphériques. Autrement dit, on aurait plus affaire ici à un rejet du parti et de son leader qu'à un rejet du nationalisme de droite dans son ensemble.
- Les trois partis étudiés (PS, DLF et EELV) sont trop faibles pour que leur absence ait un impact sur la hiérarchie des favoris - dans tous les univers, LREM est légèrement favori, avec le RN en embuscade. Il faudrait plusieurs circonstances exceptionnelles ou une très grosse erreur des sondages en faveur des partis les plus faibles pour que les favoris soient inquiétés.
- Corollaire de ce troisième enseignement: pour l'instant, les trois favoris ne peuvent que profiter de l'absence d'un des partis étudiés - soit leur borne supérieure augmente (plus gros potentiel, mais plus forte incertitude), soit leur borne inférieure augmente (leurs électeurs sont moins indécis, mais leur potentiel ne bouge pas), soit l'ensemble de l'intervalle est translaté vers la droite (gain net de sièges, incertitude inchangée).